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L’HAITIZ de tous les possibles la plus belle des radios
S’il y une pochette de disque qui a marqué l’imaginaire des fans de musique populaire haïtienne, c’est bien celle de L’univers, le cinquième album des Frères Déjean. Réalisées à Queens (New-York) dans le Corona Park de Flushing Meadows, les photos de Willy Nicolas montrent les dix membres du groupe se donner la main dans un cercle parfait puis saluer fraternellement en dessous de l’Unisphère, ce globe-terrestre gigantesque construit en 1964 pour l’exposition universelle baptisée « Foire internationale de New-York ». Quand on sait que le thème central de la manifestation était « la paix à travers la compréhension », on n’est pas surpris que les trois chansons qui composent la première face de ce microsillon 33tours s’intitulent respectivement L’humanité, Conviction et Expérience et qu’elles soient toutes empreintes de profondes réflexions.
La musique, par contre, est enjouée; à la fois légère et corsée. À vrai dire, les frères ont fort à faire ici pour surclasser leur précédent opus Bouki ak Malice, enregistré à Manhattan sous la supervision du réalisateur Henri Debs et paru chez Rotel Records de Robert Telson. Un sans-faute qui renferme d’énormes succès comme Débaké, Arrété et Qu’est-ce que la vie ? Fred et André (saxophone et trompette, Philippe et Camille (tambours et gong), les Déjean forment l’ossature solide de ce groupe qui vient de recruter le batteur vedette Tuco Bouzi mais compte aussi sur de fidèles collaborateurs comme les chanteurs Isnard Douby et Harold Joseph, depuis leurs débuts à Pétion-Ville.
Mais qui dit « Déjean » pense automatiquement « cuivres », la fameuse signature sonore du groupe. Il faut comprendre que la musique d’Haïti est passée sans transition des big bands à multiples « soufflants » comme Nemours, Sicot, Septan ou Le Jazz des Jeunes, vers les formations réduites ou « mini-jazz » au beau milieu des années soixante. Ces derniers avaient pour seul instrument soliste un sax alto ou une guitare pendant que les chœurs masculins chantonnaient à tue-tête les parties de « brass » faisant partie intégrante de l’arrangement. Comme nous l’explique Oswald Durand Jr, éminent arrangeur et saxophoniste, seul le groupe appelé d’abord « Les Frères », formé en 1963, près du cimetière de Pétion-Ville, offrait une autre solution :
« Les frères Dejean optèrent pour une formule unique en son genre : sax et trompette. Avec une tendance jazz dans le phrasé, et des harmonisations osées, leurs lignes d’intro ou de développement de milieu étaient tout simplement des merveilles de mélodies, avec un « blend » sax/trompette sans faille. Et tout cela, dans le respect de l’esprit et du temps fort du konpa. Du pur plaisir à l’écoute et sur la piste de danse! Comme le démontrent, amplement d’ailleurs Marina, Débaké ou Naide. »
« Apre on tan se yon lot-o ! » chantaient-ils… Et bien, cette fois, c’est sous la houlette du producteur Patrick Anson, un pionnier dans le domaine de la production konpa, et avec une simple console 16 pistes qu’ils vont enregistrer leur chef d’œuvre. La face B du 33 tours est aussi inspirante que la première. Cela commence par l’inoubliable Naide, on poursuit avec une version latinisée du traditionnel Yoyo (une autre chanson sur la générosité et le savoir vivre et on termine l’album avec le plat de résistance, la pièce L’Univers, un morceau indémodable qui démontre la grande originalité de la musique konpa, toujours capable d’absorber les influences mais dans le but de les intégrer à des idées nouvelles et de les restituer dans un mélange jamais entendu nulle part avant.
Et quand on associe le konpa aux paillotes, à la drague et aux pistes de danse obscures, il ne faut pas oublier que les textes engagés ou chargés de spiritualité et de compassion sont aussi fréquents dans les thèmes abordés. Chez Déjean, on peut même parler de syncrétisme ou d’œcuménisme tant on passe avec respect des divinités du vaudou au Dieu des chrétiens, à la Vierge et aux Saints. Difficile à expliquer à quelqu’un qui ne connaît rien de la culture caraïbe, pourtant la tolérance, la diversité, l’écologie, l’humanisme et l’universalité sont les valeurs qui animent les auditeurs et auditrices en même temps qu’ils se trémoussent. Ce n’est pas rien.
Nou tout ki sou latè
Nou menm pitit Bondye
Se pou n met tèt ansanm
Pou n ede l’Univers
Nou pito fè lagè
You nap dechire lot
Fon pa bliye
Ke nou tout nou se frè
En guise de post-scriptum, signalons qu’il existe une superbe version de L’Univers encore chantée par Isnard Douby sur l’album Classic Konpa du Mini All Stars paru en 1993.
LES FRÈRES DÉJEAN – L’univers (Macaya Records, 148, 1979)
Titres :
A1 L’Humanité, A2 Conviction, A3 Experience
B1 Naïde, B2 Yoyo, B3 L’univers
Musiciens :
Fred Déjean, maestro, saxophone alto et ténor
André Déjean, trompette, trombone
Philippe Déjean, percussion, tambour
Camille Déjean, percussion, tom basse
Isnard Douby, chant, trompette
Durcys Dubuisson, guitare rythmique
Ulrick (Tuco) Bouzi, batterie
Polis Nozil, lead guitare
Robert Nozil, percussion, congas
Harold Joseph, chant
Jacques Lérisson (invité), piano
Lesly Douby, chœur
Ernest Vincent, guitare basse
Luchen Ceran, Jr. (invité), saxophone
Prise de son et mixage : M. Addey
Production : Patrick Anson
Photos : Willy Nicolas (SMPG)
Written by: Rédaction
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