Listeners:
Top listeners:
L’HAITIZ de tous les possibles la plus belle des radios
La mélodie planante et inspirée d’AMELIE est née un soir de Février dans les hauteurs d’un village de montagne, à Fermathe. On est en 1984 et les musiciens de ZEKLE se réunissent chez leur claviériste Mushi pour préparer le matériel de leur troisième album à coup de tasse de thé chaud.
Il faut dire qu’en peu de temps, le groupe a mis les bouchées doubles. Après les succès fulgurants de « Reponn Mwen, Mizik Sa-a et Si Ou Vie » entre autres, ZEKLE a très vite imposé un nouveau look à la musique populaire haïtienne. Plus jeune, plus rock, plus tendre et plus sincère aussi, avec un format de chansons riches en textes et solidement rythmées.
En somme, ZEKLE (en la personne de son fougueux leader, le chanteur-batteur Joël Widmaier) a vite fait de rallier la nouvelle génération en bouleversant pas mal de traditions. Mais il reste aussi vrai qu’à cette époque, une grande partie du public est encore réfractaire à cette « nouvelle vague » un peu trop explosive. Et pour cause !…
Zekle devient le premier groupe de la Caraïbe à utiliser ainsi (et simultanément) les services de deux claviéristes (Raoul Denis Jr et Mushi Widmaier) avec une abondance de synthétiseurs polyphoniques. Et malgré un background rythmique vigoureusement « compas », le jeu moderne et musclé des musiciens d’élite comme Joe Charles à la basse, Claude Marcelin et D.T. Richard aux guitares électriques, choque encore un peu les aînés ou les auditeurs plus traditionalistes qui voient toute intégration d’éléments rock, funk ou jazz, comme de « l’américanisation à outrance ».
En plus, les délires du public fébrile, au Rex, à Ibo Beach, au Gymnasium; les succès à guichets fermés, les ventes-records de disques ; l’idée même qu’un groupe se produise en concert plutôt que dans les bals; tout ça d’un seul coup … C’est beaucoup Heureusement, AMÉLIE va réconcilier tout le monde, très vite, avant l’été.
Mais une parenthèse s’impose : En 1983, Zekle s’est payé le luxe, après un été flamboyant, de prendre trois mois de break. Break au cours duquel le groupe met sur la touche six musiciens pour se muer carrément en une formation plus libre qui joue des compositions instrumentales dans un style « jazz afro-caraïbéen ». Le nouveau groupe se produit à l’Institut Français, sort un album magnifique sous le nom de « Mushi & LAKANSYEL » intitulé « Kote ou ». en Décembre 83 et remporte un réel succès dans une brève tournée aux Antilles au cours d’un festival de « Jazz et Musique Populaire » jumelé entre Fort-de-France et Pointe à Pitre. L’équipe obtient là son billet pour une tournée française ou s’implique Christian Mousset de l’association « Jazz en France » et revient au bercail préparer les chansons du nouvel album. Et c’est alors que se produit le miracle d’AMÉLIE.
Car AMÉLIE n’est même pas un modèle. C’est juste une exception. Une chanson de pure invention. Tant au niveau du textefleuve (qui rappelle pourtant les contes merveilleux que l’on chante aux enfants des campagnes, au clair de lune) que sur le plan de l’orchestration, inédite pour l’époque. Sans guitare, sans instruments à vents et sans même le fameux rythme compas. Juste une espèce de kata, un « ti bwa » qui joue la « clavé », avec une nouvelle combinaison tambour et cow-bell ; une ponctuation de la basse qui rappelle le mouvement des vaccines dans la musique rurale haïtienne… et des claviers plannants.
Après les quatre mesures de l’intro, AMELIE se lance d’emblée dans une demidouzaine de couplets d’affilée qui alternent avec trois refrains toujours différents.
Prenses la te viv san plezi
Wa-a vin santi jalouzi
Li vin we gen malediksyon
Nan tout tanbou, nan tout chanson
Conte, légende ou fable ? Voici l’histoire du monarque qui voulait interdire la musique dans son royaume parce que la belle princesse muette (Amélie) était tombée amoureuse d’un paria musicien. La morale de cette histoire c’est qu’aucun pays ne peut survivre sans que ses artistes ne s’expriment librement. Évidemment, tout le monde sait depuis les premiers mots « Se te lan yon bel ti peyi » qu’il s’agit d’une parabole sur Haïti. Et la voix étrangement douce de Joël dans le décor magique créé par les nappes de claviers de Mushi et Raoul « propulse » AMÉLIE.
Mais ceci ne peut expliquer pourquoi la mystérieuse princesse s’accroche pour cinq semaines d’affilée au sommet du Top Compas, devenant la coqueluche du public et s’adjugeant, d’un coup de baguette magique, un des succès le plus francs et les plus insolites de l’année !
D’ailleurs, à la grande surprise des musiciens de ZEKLE partis en tournée à Paris et au Festival « Musiques Métisses » d’Angoulême avec Malavoi, AMÉLIE efface littéralement « Tambour Battant », un titre pourtant percutant et méritoire (en hommage à Rico Jean Baptiste qui animait une émission du même nom sur Radio Haïti), et lancé par le groupe pour promotionner l’album « STOP ».
Ce disque, sorti pour le 3 anniversaire de ZEKLE en Mai 84, fournira deux autres tubes sur la même face B. D’abord « STOP », un éloge à la folie qui cite les « freaks » des rues de Port-au-Prince et « Ou Te Di M’», une ballade romantique à pleurer avec solo de melodika.
Détail intéressant : la plupart des fans de Zekle ignorent encore que le groupe a obtenu pour cette pochette, réalisée à New York avec la collaboration du marquettiste haïtien Patrick Florville et du photographe américain John Friman, un « Award of Distinction » du magazine « CREATIVITY » comme l’une des trois plus belles pochettes de disques du monde pour l’année 1984. On y voit l’empreinte d’un éclair taillée à même le métal d’un authentique panneau STOP gisant foudroyé sur l’asphalte mouillée. Preuve éloquente que ce groupe est prêt à relever les défis en brisant tous les interdits.
Pour les collectioneurs, précisons que l’édition originale fut seulement tirée à 5000 exemplaires. Mais le même album sera réédité avec d’autres pochettes (Disque Cocktail-Mad 4010, 1985) et (Geronimo Rec.045, 1990). AMÉLIE existe en version française, disponible en cassette et CD. (Geronimo) et le vidéo-clip, tourné dans les ruines du Palais Sans-Souci avec la danseuse Michelle Stennet est resté inédit jusqu’à ce jour.
Audacieux et prémomitoire, « STOP » reste sans doute l’album le plus accompli de ZEKLE. Une pièce maîtresse dans l’édifice de la musique haïtienne des années 80.
Essoufflé par dix-huit mois foudroyants pendant lesquels ils ont produit la bagatelle de cinq disques, les fougueux leaders du changement s’effondrent ensuite pour ne plus se relever. Sept ans et demi plus tard, malgré quelques succès comme « Chante Lanmou » et surtout « Anko, Anko » qu’interprète Jaqueline Denis, ZEKLE n’a jamais pu sortir un autre album ni même un autre hit de l’envergure d’AMÉLIE.
Written by: Rédaction
haitiz musique haitienne zekle
Copyright JV Casseus